Emprisonnés, des grévistes de la faim mènent à leur manière le combat pour leur libération en refusant de recevoir des soins depuis leurs lits d’hôpital. Une obstination pour certains, même lorsqu’ils sont dans un état de santé frôlant la mort qui pousse l’opinion à s’interroger sur les limites des droits du patient devant l’obligation du médecin de préserver sa vie. Dans ce petit entretien qu’il nous accorde, Dr Amadou Sow, médecin légiste, ancien membre du Conseil national de l’Ordre des médecins du Sénégal, explique la légitimité de cette posture du patient et les qu’elle présente dans la Charte du malade, le code de déontologie et le code pénal. Entretien avec Vox Populi
Des grévistes de la faim refusent de recevoir des soins, chose qu’il leur est permis par la Charte du malade qui stipule, en son article 5 : « aucun soin ne peut être dispensé au malade sans son consentement libre et éclairé, celui des parents ou des représentants légaux, sauf en cas de force majeure ». Mais comment appréhendez-vous ce cas de force majeure ?
Ce cas de force majeure, il ne faut pas le comprendre dans le sens qu’il y a une situation qui pourrait se présenter et qui pourrait amener à ce qu’on puisse forcer la personne à prendre des soins. Mais cela veut dire qu’un malade peut refuser des soins, mais à un certain moment, ce malade qui refusait des soins n’est peut-être plus conscient, en ce moment, le médecin peut donner des soins. Bien entendu, le patient qui n’est pas conscient n’est pas en mesure de donner son consentement.
Donc, c’est sans consentement du patient, mais c’est la situation du moment qui l’exige. Habituellement, c’est ce que je dis aux collègues. Tant que la personne est consciente, elle est majeure, et jouit de toutes ses facultés mentales, il n’y a pas de conditions qui puissent se présenter pour qu’on lui prodigue des soins sans son consentement. Dès l’instant que cette personne n’est plus en mesure de donner son consentement, c’est-à-dire, elle n’a plus la conscience qu’il fallait, le médecin est dans l’obligation de lui prodiguer les soins urgents et nécessaires pour préserver sa vie.
Dans ce cas, le médecin ne risque-t-il pas d’être poursuivi pour violation des droits du patient ?
Non. Ce sera sans risque d’être poursuivi. Et même s’il est poursuivi, je verrais mal comment on peut porter plainte contre un médecin ou condamner un médecin pour avoir sauvé une vie. Parce que ce qu’il a fait ne vise pas à nuire au patient, mais plutôt à sauver la vie de ce dernier. On ne peut pas condamner quelqu’un parce qu’il a sauvé une vie.
Y a-t-il des cas dans le passé où l’on s’est retrouvé avec un médecin traduit en justice pour avoir prodigué des soins à une personne sans son consentement ?
Il y a une jurisprudence avec un enfant qui avait porté plainte contre un médecin parce qu’il était né d’une grossesse qui présentait une malformation. Sa mère avait été dédommagée, l’enfant aussi a voulu être dédommagé, mais les juges ont répondu qu’on ne peut pas être dédommagé du simple fait que parce qu’on est né.
Donc, même si par ailleurs, le médecin faisait cela, il est loisible au patient d’aller porter plainte, mais je vois mal sur quels arguments un juge peut s’appuyer pour condamner un médecin en disant : «quand l’autre était en situation de danger, quand il n’était pas conscient, vous lui avez donné les soins nécessaires qu’il fallait pour préserver sa vie». Par contre, cette même personne qui était en état de perte de connaissance, si elle retrouve sa lucidité, si elle demande d’arrêter, il faudra aussi en ce moment qu’on fasse prévaloir son droit de refus parce qu’en ce moment, il jouit de toutes ses facultés, il est en mesure de consentir.
Comment comprendre qu’une personne admise au service de réanimation puisse être à même de dire oui ou non aux soins ? Dans quel état de conscience sont-elles le plus souvent ?
Ce qu’il faut dire, c’est que la réanimation, c’est plusieurs secteurs. C’est plusieurs niveaux. C’est comme aux urgences, il y a des urgences assises, des urgences debout, etc. Quelqu’un peut être en réa parce qu’il a juste un diabète déséquilibré, il garde sa lucidité, il est conscient, mais il a des troubles qu’il faut corriger. Cette personne-là est en mesure de consentir.
Même s’il est en réanimation, s’il refuse des soins, on ne peut pas l’y obliger. En réa, le baromètre, c’est est-ce que c’est une personne majeure, est-ce qu’elle est consciente, est-ce qu’elle jouit de toutes ses facultés mentales. Si ces trois conditions sont réunies quel que soit le secteur dans l’hôpital dans lequel le patient se trouve, il a le droit de refuser des soins et que le personnel a l’obligation de se conformer à cela. Si cette personne n’est plus consciente, elle n’est plus en mesure de donner un consentement, s’il y a des soins urgents qu’il faudra délivrer, on les délivre.
Si le malade a le droit de refuser des soins, le serment d’Hippocrate du médecin n’émet-il pas un avis contraire ?
Oui, parce qu’en ce moment, ce qui prévaut, c’est la déontologie du médecin qui lui demande de tout faire pour préserver la vie. Il y a aussi une autre disposition du code pénal qui demande à ce qu’on puisse porter secours à toute personne qui est en situation de danger, c’est la non-assistance à une personne en danger. On peut faire prévaloir cela parce que la personne n’est plus en mesure de consentir. Au niveau national, cette charte du malade est matérialisée par un arrêté ministériel datant de 2001, alors que le code de déontologie est un décret et le code pénal est une loi. Si on fait la hiérarchie des normes, c’est la loi qui vient avant le décret ; et après le décret, vient l’arrêté.
Pour être collé à l’actualité je dis aux collègues qu’il faudra vraiment faire la part des choses et traiter les malades au cas par cas parce que les situations peuvent être similaires et avoir des différences. Ce n’est pas parce que la personne a refusé une catégorie de soins ou tout soin qu’on va s’en débarrasser. Quelqu’un peut dire : «je ne prends pas de perfusion».
Si c’est possible, – je ne sais pas ce qu’il en est pour les grévistes -, s’il y a une autre prise en charge validée par des protocoles qui est acceptable et qui ne soit pas en non-conformité avec les règles de la médecine, il ne faut pas que le médecin ou l’agent de santé se prive de cette possibilité de lui proposer cela. Et que même si, par ailleurs, cette personne refusait les soins et que quittant l’hôpital et arrivée chez elle, la situation se détériore, on n’a pas le droit de lui dire que tu avais boudé ou bien tu avais refusé les soins, on ne va plus te réadmettre. Le consentement est libre et révocable à tout moment et qu’à tout moment aussi la personne peut revenir sur sa décision.
Quelqu’un peut refuser de recevoir des soins, puis les accepter ; quelqu’un peut accepter et ensuite refuser. Je le dis à des collègues : celui qui est conscient et qui dit non, on ne sait jamais, s’il perd connaissance, qui nous dit qu’à l’instant T, s’il était en mesure de donner son consentement, il n’allait pas dire actuellement je vais accepter. Le médecin doit différencier les situations, et de savoir que son rôle est de préserver la vie tout en reconnaissant au patient le droit de dire oui ou de dire non aux soins tant qu’il a cette faculté. Une fois qu’il n’a plus cette faculté, en ce moment, ce n’est pas à lui de décider. Or, celui qui n’est pas en mesure de décider ne décide pas.
Vox Populi