146 votants, 126 pour, 20 contre et 0 abstention : La Proposition de loi portant interprétation de l’Amnistie votée

Par Le Rapporteur M. Youngare Dione

Monsieur le Président,

Messieurs les Ministres,

Chers Collègues,

La Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains s’est réunie le vendredi 21 mars 2025, sous la présidence de Monsieur Abdoulaye TALL, Président de ladite Commission, à l’effet d’examiner la proposition de loi n°05/2025 portant interprétation de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie, introduite par notre collègue Amadou BA n°2.

Présentant l’exposé des motifs, notre Collègue a rappelé que la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie avait pour ambition d’effacer des faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle commis en rapport avec les événements politiques qui ont traversé le Sénégal de 2021 à 2024.

Selon l’intention du législateur originel, dira-t-il, le champ d’application de la loi était restreint aux seules infractions qui répondaient à une motivation politique ou à celles commises en lien avec l’exercice d’une liberté politique.

À cet égard, notre Collègue a indiqué que la volonté du législateur n’a donc jamais été de laisser impunies des infractions de droit commun, sans aucun lien avec une motivation politique.

Par ailleurs, il a soutenu que cette loi portant amnistie n’a pas entendu exclure de son champ d’application la prise en charge des droits des victimes par le biais d’une indemnisation juste et équitable, indépendamment de la possibilité d’une mise en jeu de la contrainte par corps.

Sous ces deux rapports, précisera-t-il, la présente loi interprétative vise à clarifier le sens et la portée de certaines dispositions de la loi antérieure, en ses articles 1er et 3, conformément aux conventions internationales auxquelles le Sénégal a adhéré et qui s’imposent au législateur.

Sur ce point, notre Collègue a informé que c’est, en effet, le cas de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. À ce propos, il a mentionné que le principe de la prohibition de ces crimes relève du jus cogens en ce qu’il est opposable erga omnes et ne peut faire l’objet d’amnistie. Il en est également ainsi du Statut de Rome entré en vigueur le 1er juillet 2002 et internalisé dans l’ordonnancement juridique du Sénégal, a-t-il ajouté.

Notre Collègue a clos la lecture de l’exposé des motifs en indiquant que la présente proposition vise à clarifier le champ d’application du texte initial afin d’éviter que la loi nationale puisse entrer en conflit avec les accords internationaux régulièrement ratifiés par le Sénégal.

Intervenant à leur tour, certains Commissaires ont félicité leur Collègue qui a porté cette présente proposition de loi ayant pour objet d’interpréter la loi portant amnistie entrée en vigueur le 13 mars 2024, dans le but de clarifier son sens et son champ d’application.

Au demeurant, des Commissaires ont exprimé leur désaccord sur cette proposition de loi interprétative qui, au-delà de son caractère inopportun, opère une modification de la loi portant amnistie précitée. Pour preuve, le texte soumis à leur examen, diront-ils, contient une nouvelle disposition relative aux indemnisations des victimes, dont les montants sont déjà dépensés sans autorisation préalable de l’Assemblée nationale.

En outre, il a été soutenu que la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie semblait être un acte de dépassement et une réponse politique à une crise nationale. Or, la proposition de loi constitue une tentative de réécriture politique de cette loi d’apaisement et de réconciliation au profit d’une justice sélective en ce sens qu’elle voudrait exclure du pardon ceux dont les actes n’auraient pas été politiquement motivés.

En effet, les actes à amnistier, selon la proposition de loi, doivent avoir une motivation politique, alors que certaines personnes concernées, notamment les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) qui ont défendu les Institutions sans couleur politique, ne pourraient pas invoquer cette motivation pour en bénéficier. C’est ainsi que des éclairages ont été demandés sur le champ d’application de ce texte pour éviter de donner le sentiment qu’il vise à protéger une catégorie de personnes ayant incendié et saccagé des biens publics et privés.

Par ailleurs, ils ont fait remarquer qu’une loi interprétative se justifie lorsque la loi initiale est sujette à des interprétations divergentes occasionnant des difficultés d’application par les juridictions habilitées. Tel n’est pas le cas de cette loi objet d’interprétation qui n’a pas encore donné lieu à des difficultés de cette nature.

Ils ont également rappelé qu’une proposition de loi portée par un collègue, qui visait l’abrogation de la même loi amnistiante, a été rejetée pour non-respect des dispositions de l’article 82 de la Constitution. Sur ce, ils ont demandé si le présent texte respecte ces dispositions constitutionnelles qui exigent une proposition de recettes compensatrices en cas de diminution des ressources publiques ou de création ou aggravation d’une charge publique.

Toutefois, d’autres Commissaires ont estimé que le caractère opportun de cette proposition de loi ne fait l’ombre d’aucun doute en ce qu’elle vise à lever toute ambiguïté par rapport au champ d’application de la loi de 2024 portant amnistie. En effet, cette ambiguïté est consécutive au débat qui s’est installé sur l’amnistie de certains faits qualifiés de « crimes de sang », y compris ceux relatifs aux actes de tortures et de traitements inhumains, cruels ou dégradants.

Or, ces actes doivent être hors de portée du champ d’application de cette loi susvisée, conformément aux instruments internationaux que notre pays a souscrits, notamment la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI).

Ces actes, ajouteront-ils, relèvent des normes impératives auxquelles aucune loi nationale ne peut déroger.

Selon eux, cette présente proposition de loi interprétative, rappelant notamment ces instruments internationaux régulièrement souscrits par notre pays, ne cible a priori personne. Par conséquent, ceux qui estiment que cette loi interprétative vise les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) les accusent à tort en établissant déjà leur culpabilité en dehors de toute enquête judiciaire. Cette posture n’est visiblement pas conforme avec l’esprit et la lettre de la proposition de loi.

Néanmoins, ils ont rappelé que, lors des événements politiques survenus entre 2021 et 2024 dans notre pays, le Gouvernement avait annoncé l’existence de forces occultes à qui on imputait la commission de plusieurs actes répréhensibles. Au même moment, des personnes non encore identifiées et agissant aux côtés des FDS ont tiré à bout portant sur des manifestants au vu et au su de tout le monde. À ces faits viennent s’ajouter des contrats d’armement qui ont été passés par des autorités exécutives en violation des règles budgétaires, comptables et de passation des marchés publics.

Au regard de la gravité de tous ces faits, les responsabilités doivent impérativement être situées et les auteurs traduits devant les juridictions compétentes, ont-ils déclaré.

En outre, ils ont estimé que, bien que des dégâts matériels aient été enregistrés lors des événements politiques susmentionnés, il est impossible, voire dangereux, de les comparer avec les pertes en vies humaines.

Enfin, il a été précisé que l’Assemblée nationale peut, de manière souveraine, adopter une loi interprétative indépendamment d’une difficulté d’interprétation relevée lors de l’application de la loi initiale.

En réponse aux interpellations exprimées, notre collègue Amadou BA n°2 est largement revenu sur le contexte et l’objet de la proposition de loi interprétative.

À cet égard, il a rappelé que, lors de l’examen du projet de loi portant amnistie en 2024 par la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains, Madame le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, avait indiqué que les actes de tortures ou de traitements dégradants sont bannis et exclus du champ d’application dudit texte, avant de préciser que des sanctions seront prononcées s’il existe des preuves les attestant.

Toutefois, notre collègue a fait noter que cette exclusion des infractions sus-évoquées n’a pas été matérialisée dans le texte final qui a été adopté en séance plénière. Ce qui contrevient, selon lui, aux obligations internationales du Sénégal en matière de protection des droits fondamentaux de l’homme ainsi qu’à l’évolution récente de la jurisprudence internationale y relative.

Pour appuyer ses propos, il a invoqué plusieurs décisions de justice rendues par les juridictions internationales indiquant de façon concordante que toutes les atteintes graves aux droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit à la vie, le droit de ne pas subir de tortures, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ne sauraient être couvertes par une amnistie.

De surcroît, amnistier les actes de tortures et autres atteintes graves aux droits de l’homme engage, non seulement la responsabilité du Sénégal face à ses obligations internationales, mais expose également leurs auteurs à des poursuites par des États étrangers au titre de la compétence universelle, a-t-il révélé.

Au regard de toutes ces considérations, notre collègue a soutenu qu’il est apparu nécessaire de présenter cette proposition de loi interprétative qui vise à circonscrire le champ d’application de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie afin de lever toutes les équivoques et controverses sur les catégories d’infraction qu’elle couvre.

Par ailleurs, abordant la question de l’indemnisation des victimes, il a affirmé que toute loi amnistiante, qui ne prévoit pas de mécanisme d’indemnisation, est supposée nulle. Sur ce point, il a rappelé que, lors de l’examen du projet de loi portant amnistie précité, Madame le Ministre de la Justice avait annoncé la mise en place d’une commission d’indemnisation pour les victimes.

De son avis, l’indemnisation de l’ensemble des victimes constitue un préalable à la réconciliation.

S’agissant de l’absence d’une jurisprudence discordante devant justifier l’opportunité d’interpréter la loi portant amnistie, il a fait remarquer que le législateur dispose de la liberté de ne pas attendre qu’il y ait une controverse jurisprudentielle pour user de ses prérogatives d’interpréter une loi qu’il juge ambiguë ou obscure.

Il précisera, en l’espèce, qu’il est question de clarifier le champ d’application dans le souci d’éviter, d’une part, toute interprétation erronée de la loi portant amnistie au détriment des intérêts des victimes et, d’autre part, que le Sénégal ne puisse pas voir sa responsabilité engagée au niveau des juridictions internationales pour absence de recours effectif pour les victimes ou leurs ayants droit qui souhaiteraient saisir les tribunaux nationaux.

Sur la question de la non-prise en compte des pertes de biens matériels, notre collègue a rappelé la sacralité de la vie humaine qui constitue un droit fondamental, incomparable à un quelconque bien matériel dont la perte peut être remplacée, quelle qu’en soit sa valeur. C’est ce qui justifie que cette proposition de loi vise uniquement les atteintes graves aux droits de l’homme.

Relativement à la question de l’incidence financière, il a soutenu que le propre d’une loi interprétative consiste à ne rien ajouter ou retrancher dans la loi qu’elle interprète. Par conséquent, une telle loi ne saurait comporter une incidence financière puisqu’elle se limite tout simplement à clarifier le sens de la loi à laquelle elle se rapporte.

Parallèlement, notre Collègue a apporté des éclairages sur l’utilisation de la motivation politique. À ce propos, il a souligné que cette expression se trouve déjà dans le texte de la loi du 13 mars 2024 portant amnistie. Conformément à son article premier, dès lors qu’une personne peut justifier que son action comporte une motivation politique et se rapporte à des manifestations politiques, les infractions qu’elle aurait commises dans ce cadre resteront couvertes par cette loi. Sous ce regard, il a annoncé que la proposition de loi interprétative ne fait que reprendre cette expression initialement contenue dans la loi afin de repréciser son sens.

Par ailleurs, il a déclaré que si l’apaisement a motivé la loi de 2024 portant amnistie, il devait tout de même s’inscrire dans un registre de vérité et de justice, étant entendu que l’amnistie ne doit jamais signifier l’amnésie collective.

Cette posture, dira-t-il, est conforme à la justice transitionnelle, dont un des principes fondamentaux demeure la garantie de non-répétition des tragédies vécues. Pour ce faire, il est important que les victimes sachent la vérité, laquelle doit passer par des enquêtes et, éventuellement, des sanctions prononcées, avant l’intervention du pardon.

Concluant son propos, notre Collègue a tenu à préciser que la présente proposition de loi interprétative n’est pas l’expression d’une justice des vainqueurs. Selon lui, elle ne vise ni les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) ni les autorités politiques de l’ancien régime, d’autant plus que la loi a un caractère général et impersonnel. En revanche, son objet consiste à lever toute ambiguïté quant au champ d’application de la loi de 2024 portant amnistie pour y exclure des infractions n’ayant aucun lien avec l’exercice d’une liberté publique.

Cette démarche vise à empêcher les auteurs d’actes d’assassinat, de tortures et de meurtres, quel que soit le bord politique auquel ils appartiennent, de pouvoir bénéficier d’une impunité légale.

Au moment du vote de la proposition de loi et conformément aux dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, vos Commissaires ont examiné et adopté une proposition d’amendements introduite par notre collègue Amadou BA n°2 tendant à circonscrire, avec plus de précision, le champ d’application du texte.

Cette proposition d’amendements est annexée au présent rapport.

Satisfaits des réponses apportées par notre Collègue, vos Commissaires ont adopté, à la majorité, la proposition de loi n°05/2025 portant interprétation de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie. Ils vous demandent d’en faire autant, si cela ne soulève, de votre part, aucune objection majeure.

Mamadou Nancy Fall
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