Procès de Hissène Habré L’ancien homme fort du Tchad condamné à indemniser ses victimes à hauteur de 91 millions de dollars

Hissène Habré, l’ancien dictateur du Tchad, doit indemniser ses victimes pour les meurtres, actes de torture, esclavage sexuel, viols, et autres crimes qu’il a commis sous son règne, a déclaré une Cour à Dakar aujourd’hui.

La décision prise par les Chambres africaines extraordinaires au sein du système judiciaire sénégalais, survient deux mois après la condamnation à perpétuité de Hissène Habré pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, prononcée le 30 mai 2016.

Selon le communiqué parvenu à lactuacho, la Cour a accordé à chaque survivant de viol et d’esclavage sexuel 20 millions de FCFA (approximativement 30 487 Euros, 33 898 $US), à chaque survivant de torture et de détention arbitraire ainsi qu’à chaque ancien prisonnier de guerre maltraité 15 millions de FCFA (22 865 Euros, 25 424 $US), et 10 millions de FCFA aux victimes indirectes (approximativement 15 243 Euros, 16 949 $US), pour un montant total d’environ 53 milliards de francs CFA (90 millions de dollars ou 81 millions d’euros).
La Cour a déjà gelé certains des avoirs de Hissène Habré, notamment une maison dans un quartier huppé de Dakar, estimée à environ 680 000 euros, ainsi que des petits comptes en banque. On pense cependant que Habré possède encore plus d’actifs.

Le communiqué relève que la décision a été lue en audience par le Président de la Chambre, le juge burkinabé Gberdao Gustave Kam. La décision écrite devrait être publiée prochainement. Le procès de Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, a débuté le 20 juillet 2015.

Habré a fui au Sénégal en 1990, après que son régime a été renversé par l’actuel président du Tchad Idriss Déby Itno. Bien qu’il ait été arrêté et inculpé une première fois au Sénégal en 2000, une campagne de longue haleine a dû être menée par ses victimes avant que les Chambres africaines extraordinaires ne soient inaugurées par le Sénégal et l’Union africaine en février 2013, pour juger des crimes internationaux commis au Tchad sous le régime de Hissène Habré.

« L’argent ne me rendra jamais mes amis, » a déclaré Souleymane Guengueng, qui a vu nombre de ses codétenus mourir suite à des mauvais traitements et de maladie dans les prisons de Hissène Habré, et qui a plus tard fondé l’Association de victimes de crimes du régime d’Hissène Habré (AVCRHH). « Mais l’argent est important pour guérir les blessures, pour sortir les victimes de la pauvreté, et montrer que nous avons des droits qui doivent être reconnus. »

Selon toujours le document, une Commission nationale d’enquête au Tchad a accusé Habré d’avoir volé quelques 3,32 milliards de francs CFA (environ 70 985 256 francs français au taux de change de l’époque, soit 11 821 632 euros) du trésor public tchadien la veille de sa fuite vers le Sénégal en décembre 1990, mais on le soupçonne fortement d’avoir volé encore bien plus que cela. On sait qu’il a reçu 1 million de dollars en espèces au moins une fois, en 1987, de la part de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein.

Quand Habré est arrivé au Sénégal, il a confié ses avoirs à Abdoul Mbaye, alors Directeur de la Compagnie bancaire de l’Afrique Occidentale (CBAO). En 2013, Mbaye a été démis de ses fonctions de Premier ministre du Sénégal, en partie en raison de son implication dans les finances de Habré.

Un groupe de 4733 victimes, de loin le plus important en nombre, représenté par une équipe menée par l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeina, a demandé aux Chambres d’ordonner le versement par Habré de 168 385 000 000 francs CFA (environ 257 millions d’euros) en réparations individuelles et collectives. La demande listait 1049 victimes directes et 3684 membres de la famille de victimes.

le communique indique qu’en plus de la condamnation de Habré par les Chambres africaines, une Cour criminelle tchadienne, qui a condamné, en mars 2015, 20 anciens agents de l’appareil sécuritaire de la dictature de Hissène Habré pour avoir commis des crimes atroces, a ordonné à l’État tchadien de payer la moitié de la somme de 75 milliards de francs CFA (114 503 817 euros) en réparation aux 7000 victimes, et aux personnes condamnées de payer le reste.

La Cour a également ordonné que le gouvernement édifie dans l’année un monument pour les victimes du régime Habré et que l’ancien siège de la DDS soit transformé en musée. Plus d’un an après la décision de la Cour, le gouvernement tchadien n’a exécuté aucune de ces mesures de compensation.

Avec le procès Habré, c’est la première fois que les tribunaux d’un État jugent l’ancien dirigeant d’un autre État pour des supposées violations des droits humains. Les survivants ont livré des témoignages bouleversants sur la torture, les viols, l’esclavage sexuel, les massacres et les destructions de villages. La Cour a notamment condamné Hissène Habré pour des crimes de violences sexuelles, dont le crime de viol et celui d’esclavage sexuel pour avoir envoyé des femmes servir d’esclaves sexuelles pour son armée. La Cour a également reconnu Hissène Habré coupable d’avoir lui-même violé Khadidja Hassan Zidane à quatre reprises.

La décision sur les réparations marque la fin du mandat de la Chambre d’Assises. Les avocats de Habré commis d’office ont fait appel de cette condamnation. Une Chambre d’Appel des Chambres africaines extraordinaires devrait être constituée pour statuer sur l’appel plus tard cette année.

Le régime à parti unique de Habré a été marqué par des atrocités massives et généralisées, dont des vagues de répression ethnique. Les documents de la police politique de Habré, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), retrouvés par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, ainsi que de 12 321 victimes de violations des droits humains.

Les États-Unis et la France considéraient Habré comme un rempart contre la Libye de Mouammar Kadhafi, et l’ont donc soutenu durant tout son règne, malgré les preuves indiquant clairement que Habré commettait des abus contre son propre peuple. Sous la présidence de Ronald Reagan,  les États-Unis apportèrent en secret, par le biais de la CIA, un soutien paramilitaire à Habré pour l’aider à prendre le pouvoir en 1982.

Habré ne reconnaît pas l’autorité des Chambres et a gardé le silence tout au long du procès. Suite au refus des avocats de Habré de se présenter à la barre, conformément à ses instructions, la Cour a nommé d’office trois avocats pour le représenter et a ajourné le procès pour 45 jours afin de leur donner le temps de préparer leur défense. Au premier jour de la reprise du procès, le 7 septembre 2015, Habré a été amené dans la salle contre sa volonté, criant et se débattant. Par la suite, il fut amené dans la salle au début de chaque journée d’audience, avant que les portes ne soient ouvertes au public.

Michel DIEYE

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