Présidentielle 2019 au Sénégal : fausses informations, manipulation et données personnelles

La désinformation et la manipulation ont toujours existé en politique. Mais ces pratiques ont pris une nouvelle ampleur ces dernières années, notamment depuis l’élection présidentielle américaine de 2016, nous dit Africacheck.

Aucun pays n’est épargné et les derniers événements au Sénégal montrent que la campagne électorale pour la présidentielle du 24 février 2019 est partie pour être celle où la désinformation jouera un rôle inédit dans l’histoire politique du pays.

Il y a quelques semaines, un militant du candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2019 Malick Gakou a annoncé, sur Facebook, que son leader avait fait l’objet d’une fouille à l’aéroport Blaise Diagne, à son retour d’un voyage. Plus tard, c’est Malick Gakou lui-même qui dément l’information dans une interview. Mais le mal était déjà fait puisque le post avait suscité beaucoup de commentaires, dénonçant notamment une volonté du pouvoir d’intimider ses opposants.

Une autre fois, ce sont de faux documents qui ont été partagés sur les réseaux sociaux pour dire que deux opposants sont parrainés par des loges maçonniques en vue de la prochaine élection présidentielle.

Il y a eu aussi la fausse carte d’identité française attribuée au président Macky Sall partagée via WhatsApp. Et puis, un autre candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2019 avait fait passer une publicité pour un article du magazine Jeune Afrique dressant son portrait.

La liste est loin d’être exhaustive. Mais la plus récente affaire – les accusations contre l’opposant Ousmane Sonko qui aurait reçu de l’argent de la compagnie pétrolière Tullow Oil – mérite d’être prise au sérieux et ne doit pas être traitée comme une simple fausse information.

Le modus operandi relève d’une opération de manipulation rondement menée, mêlant à la fois sites internet, réseaux sociaux, presse écrite, radios et télévisions.

Contribution publiée sur un site web ghanéen

Tout est parti de ce qui semblait être une simple contribution  publiée le mercredi 9 janvier sur un site internet ghanéen dans laquelle l’auteure, une certaine Michelle Damsen, parle des « défis de l’exploitation des ressources naturelles en Afrique » en prenant tout de même le soin de glisser le nom d’un opposant sénégalais affirmant que celui-ci a reçu de l’argent « d’une grande compagnie européenne ».

Le lendemain, l’information fait la Une d’un quotidien qui donne le nom de la compagnie, le montant reçu et affirme même détenir la preuve du paiement. L’information est reprise par plusieurs sites internet, fait la une de certains journaux parlés, sans parler des commentaires sur les réseaux sociaux.

Les médias qui parlent de l’affaire se gardent toutefois de préciser que le texte auquel il se réfère pour écrire leurs articles est une contribution. Mieux, ou pire, ils le présentent comme une enquête et son auteure, une journaliste d’investigation britannique spécialisée dans les questions pétrolières. On saura plus tard que l’auteur du texte est un imposteur (le site Modern Ghana a retiré l’article mais celui-ci est toujours visible sur webarchive). Il est étonnant que personne, parmi ceux qui ont repris l’histoire, ne se soit posé la question de savoir pourquoi une journaliste d’investigation britannique irait publier un article d’opinion parlant de pétrole et de gaz au Sénégal sur un site ghanéen.

L’histoire ne s’arrête pas là, puisqu’un groupe de médias – quotidiens et sites web – va sonner à nouveau la charge, un jour plus tard, en publiant simultanément des documents présentés comme la preuve matérielle du paiement d’une somme d’argent par la compagnie pétrolière Tullow Oil à Ousmane Sonko. Au-delà du démenti de Tullow Oil publié plus tard dans la journée sur le réseau social Twitter, aucun média n’a jugé nécessaire de questionner l’authenticité des documents, encore moins  de contacter la compagnie incriminée pour recueillir sa version.

La diffusion de fausses informations n’est pas la seule forme de manipulation dont il faudra se méfier lors de la campagne de l’élection présidentielle du 24 février. L’exploitation et l’utilisation, souvent illégales, des données personnelles des électeurs est une autre menace.

Données personnelles et manipulation

« Data Drives All We Do » (“Les données déterminent tout ce que nous faisons”). C’est le slogan de Cambridge Analytica, une firme britannique spécialisée dans l’analyse de données et le conseil en communication.

Cambridge Analytica a joué un grand rôle dans la campagne électorale de Donald Trump pour la présidentielle américaine de 2016.

En mars 2018, un scandale  a éclaboussé cette agence, accusée d’avoir récolté, à leur insu, des données de 30 à 70 millions d’utilisateurs de Facebook. La chaîne de télévision britannique Channel 4 News affirme même, que l’espionnage d’adversaires politiques et la diffusion volontaire de fausses informations font partie des pratiques de Cambridge Analytica. Ces révélations seront fatales à la compagnie qui finit par fermer boutique.

Afrique, la nouvelle cible ?

En Afrique, la firme britannique a notamment travaillé pour le compte du président kenyan Uhuru Kenyatta à la présidentielle 2017.

En juillet 2018, plusieurs médias dont le  Financial Times annoncent que d’anciens employés de Cambridge Analytica ont mis sur pieds une nouvelle compagnie appelée Auspex International qui va centrer ses activités sur l’Afrique et le Moyen-Orient. La nouvelle compagnie a d’ailleurs annoncé avoir signé un contrat en vue d’une élection dans un pays africain, sans préciser lequel. Selon le Financial Times, Auspex International va mettre l’accent sur les données des recherches Googledes utilisateurs, qui selon les initiateurs du projet, «ont plus de valeur que les données personnelles sur Facebook».

Auspex International est placée sous la direction de Mark Turnbull, un ancien cadre de Cambridge Analytica ayant également travaillé pour une autre agence controversée de relations publiques, Bell Pottinger, notamment en Afrique du Sud où ladite agence a été épinglée pour des activités de manipulation et de diffusions de fausses informations.

Au Sénégal, la collecte des parrainages, obligatoire pour tout candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2019, fut aussi une vaste collecte de données personnelles de plus d’un millions d’électeurs. Beaucoup se sont interrogés sur les dispositions prises pour protéger les données personnelles de ceux qui ont parrainé des candidats.

Malgré un communiqué de la Commission de protection des données personnelles (CDP), appelant les candidats à se conformer à la loi dans le cadre de la collecte des parrainages, les craintes quant à un usage illégal ultérieur de toutes ces informations ne se sont pas dissipées.

Un candidat déclaré à l’élection présidentielle a affirmé, que l’Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE), rattachée à la présidence de la République, était impliquée dans le processus de vérification des parrainages par le Conseil Constitutionnel. Ce que l’ADIE a démenti. Mais on sait que le directeur général de cette agence, Cheikh Bakhoum, qui est par ailleurs un responsable du parti au pouvoir, avait déclaré en mai 2018 que la structure était disposée « non seulement à fournir le logiciel de décompte des signatures, mais aussi à accompagner la commission qui sera mise en place par le Conseil constitutionnel » à cet effet.

Rien ne garantit donc aujourd’hui que des structures de l’Etat, si celles-ci sont impliquées dans le processus du parrainage, n’iront pas mettre à la disposition du parti au pouvoir des données pouvant lui permettre d’avoir une idée de la cartographie de l’électorat de ses adversaires.

Cette crainte s’explique d’autant plus qu’en mars 2007, quelques jours après la réélection du président Abdoulaye Wade, son conseiller chargé des technologies de l’information et de la communication, Thierno Ousmane Sy, expliquait la stratégie qui a permis à Wade de remporter l’élection dès le premier tour. Une utilisation minutieuse des données personnelles de certains électeurs avait joué alors un rôle prépondérant.

Source fr.africacheck.org

Pape Ismaïla CAMARA
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