Hommage à Amadou-Mahtar Mbow pour les 98 ans d’un pédagogue bâtisseur,

Hommage à Amadou-Mahtar Mbow pour les 98 ans  d’un pédagogue bâtisseur, plus de 50 ans au service de la communauté éducative internationale par Docteur Daouda Ndiaye*

« Mag mat naa bàyyi cim réew » « un pays a toujours besoin d’un sage », cette sagesse wolof n’interdit pas une démarche rationnelle lorsqu’il s’agit de témoigner.

Au pays des ancêtres d’Amadou-Mahtar Mbow « juger quelqu’un c’est cesser de l’aimer ».

Mais « ni l’ennemi ni l’ami ne peuvent y être de bons témoins » ;  « Noon du seede, soppe du seede » disent les Wolof.

C’est ce souci d’objectivité qui nous accompagne à chaque pas sur notre chemin remontant le fil de l’histoire inachevée d’Amadou-Mahtar Mbow. Redoutable exercice pour  l’adulte que je suis et qui, dans son adolescence, pouvait apprendre par cœur certains passages des discours d’Amadou Mahtar Mbow, alors Directeur Général de l’UNESCO.

98 ans pour l’Afrique c’est l’âge de la sagesse,  révélateur de l’état d’esprit d’un bâtisseur qui a transmis et continue de transmettre pour éviter que ses descendants ne deviennent des héritiers serviles.

Ainsi, convient-il de chercher dans les livres d’histoire et les récits des témoins du continent de l’oralité pour situer les premiers combats d’Amadou-Mahtar Mbow dans une période coloniale très difficile ?

Jeune étudiant en mécanique de l’Air à Paris, il fit face en tant que soldat à l’invasion allemande en France en 1940. Prisonnier de guerre des Allemands, il retrouva sa liberté sans renoncer à une autre liberté qui lui est très chère ; celle de s’instruire et d’instruire dans cette Afrique promue terre des ténèbres par les théoriciens du système colonial.

En soldat infatigable de l’enseignement, il répand à sa manière la lumière qui dissipe les ténèbres au Sénégal et sillonne le monde sous l’égide de l’UNESCO dans un long compagnonnage qui nous réunit aujourd’hui.

Compagnon de Cheikh Hamidou Kâne, l’auteur de l’Aventure Ambigüe, Amadou-Mahtar Mbow n’est pas de ces Africains qui, comme la Grande Royale, pensaient que « l’école où nous poussons nos enfants tuent en eux ce que nous aimons le plus et conservons à juste titre (la tradition) »[1]

Humaniste, il a réussi à trouver l’antidote ancrant l’école africaine dans l’enracinement et l’ouverture déclinant socialement ce concept cher à Léopold Sédar Senghor sur les chemins de l’Afrique profonde.

De l’homme multidimensionnel qu’est Amadou-Mahtar Mbow, le monde des chercheurs en Sciences de l’Education retiendra d’abord l’homo faber d’une éducation de base africaine en gestation.(I) La notion d’homo faber étant  entendue ici au sens philosophique du terme envisagé par Henri Bergson, philosophe évolutionniste, qui voyait de l’intelligence « dans la faculté de fabriquer les objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication »[2]. Amadou-Mahtar Mbow rentre fidèlement dans cette définition philosophique bergsonienne.

C’est parce que l’homme est à la fois homo faber et homo sapiens que nous sommes invités à  voir en quoi Amadou-Mahtar Mbow a contribué de façon précieuse  à la pose de la première pierre de l’édifice de la scolarisation universelle que l’UNESCO a érigé (II).

I/ Amadou-Mahtar Mbow, l’homo faber d’une éducation de base africaine en gestation

Amadou-Mahtar Mbow, homo faber d’une éducation de base africaine en gestation, fit ses premiers pas dans la formation des futurs enseignants de l’Afrique des indépendances.

Dans une Afrique tiraillée entre la francité et l’arabité, l’éducation garde son caractère élitiste. L’école formelle, réservée exclusivement aux fils de Chefs traditionnels, ne pouvait épouser la vision humaniste d’une école portée par Amadou-Mahtar Mbow.

Ainsi, les missions de l’éducation de base d’Amadou-Mahtar Mbow participent de la généralisation de l’accès à l’école et préfigurent la démocratie participative dans la gestion de la question éducative.

  1. Les missions d’Amadou-Mahtar Mbow de Darou-Mousty et de la Casamance en 1953

Les missions de Darou Mousty et de la Casamance en 1953, à elles seules, résument le climat de défiance qui régna au Sénégal entre les autorités traditionnelles et les autorités coloniales françaises.

Darou Mousty est une localité religieuse musulmane, symbole du Mouridisme. Son chef spirituel, Cheikh Ahmadou Bamba, exilé au Gabon de 1895 à 1902 par les autorités coloniales françaises, laisse de nos jours le souvenir d’une difficile conciliation entre les valeurs culturelles occidentales et les valeurs cultuelles d’un Islam noir. C’est dans la localité de Darou Mousty, fondée par Mame Thierno Birahim Mbacké, le frère de Cheikh Ahmadou Bamba, qu’Amadou-Mahtar Mbow effectua une mission de trois mois pour l’ouverture de la première école française.

Cheikh Modou Awa Balla Mbacké, le chef spirituel de Darou Mousty[3], comprit dans sa dimension de soufi, l’intérêt de sa communauté à rester ouverte à la « recherche du savoir quitte à aller jusqu’en Chine » selon la formule du hadith du Prophète Mouhamed (PSL).

Cette mission eut lieu neuf ans après la Conférence africaine française de Brazzaville de 1944. La France de la Résistance à l’envahisseur allemand formulait  le point I de la Recommandation sur l’Enseignement en Afrique en ces termes : « l’enseignement des indigènes doit, d’une part, atteindre et pénétrer les masses et leur apprendre à mieux vivre, d’autre part aboutir à une sélection sûre et rapide des élites »[4] . Aussi paradoxale que puisse être la stratégie culturelle de la France en Afrique[5],  pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, c’est sur les ruines de la deuxième guerre mondiale qu’Amadou-Mahtar Mbow trouvera les forces de redonner à son pays, le Sénégal, sa dignité par l’instruction.

L’acte constitutif de l’UNESCO, ratifié par 20 Etats dont la France lors de sa création en 1944, est entré en vigueur en 1946. En 1948, l’UNESCO recommande aux Etats de rendre l’école primaire obligatoire et universelle. Pétri des valeurs humanistes de la nouvelle organisation internationale, Amadou-Mahtar Mbow n’a pas entendu réduire les principes de l’UNESCO à de simples formules incantatoires. Le Chef du Service de l’éducation de base de l’Afrique Occidentale Française arpente son pays du Nord au Sud pour rompre avec cette vision monolithique de l’école française des élites locales africaines.

Le travail de terrain qu’il entreprit en Casamance lors de sa deuxième mission l’illustre éloquemment et témoigne de son habileté à penser l’unité de l’école africaine dans la diversité des approches pédagogiques.

La mission d’Amadou-Mahtar Mbow dans la verte Casamance en 1953 se déroula dans un climat de méfiance et de défiance des populations une décennie après l’arrestation et la déportation de la Reine-prêtresse Aline Sitoe Diatta, morte en 1944 à Tombouctou des actes de tortures de l’Administration coloniale française.

C’est dans ce climat de haine de l’étranger que les gardiens du Bois sacré, dans un premier temps, refusèrent à Amadou-Mahtar Mbow l’ouverture d’une école française. Le Chef de la mission de l’UNESCO ne baissa pas les bras parce qu’ayant compris très tôt que cette école qui a le malheur d’avilir l’Africain finira par lui donner les moyens de son auto-défense intellectuelle. Les autorités traditionnelles de la Casamance finirent par accepter la proposition d’Amadou-Mahtar Mbow qui a su user de ses talents de diplomate pour convaincre ses interlocuteurs.

Les outils mis en place par Amadou-Mahtar Mbow, loin de s’inscrire dans une vision utilitariste de l’enseignement colonial, visaient plutôt à corriger les dysfonctionnements d’une école africaine déconnectée de ses réalités locales.

Christian Sina Diatta,  docteur en Physique de l’Université d’Orsay et fondateur du Troisième Cycle de Physique Atomique et Nucléaire de l‘Université Cheikh Anta Diop de Dakar, né à Oussouye sur cette terre de Casamance, est un bel exemple réussite de cette école française qui a fleuri aux soins des pionniers comme Amadou-Mahtar Mbow. Je cite le Professeur Christian Sina Diatta parce qu’il a embrassé les disciplines fondamentales scientifiques du monde occidental tout en conservant ce qui lui est propre : sa culture diola. En témoigne son manuel de base de la grammaire diola[6] qui fait autorité en sociolinguistique.

A  César ce qui est à César ! Comment ne pas penser à Amadou-Mahtar Mbow dans cette longue marche de l’école africaine ?

Ainsi, tous les éléments de la définition de Philippe Coombs dans son « Etude sur la crise mondiale de l’éducation »[7] apparaissent déjà en filigrane dans les outils mis en place par Amadou-Mahtar Mbow lors de ses missions de 1953 au Sénégal. « Cette éducation de base, dira plus tard Philippe Coombs, est fondamentale dans la perspective de l’éducation permanente puisqu’elle constitue la première phase préparatoire à des acquisitions ultérieures. Elle est fonctionnelle puisqu’elle recherche une adaptation permanente au milieu, en donnant une place particulière aux problèmes de la vie, tels que, la santé, nutrition, plan productif etc. »

C’est une cité éducative en chantier qui se construit avec Amadou-Mahtar Mbow donnant la parole aux populations africaines de Darou-Mousty et de la Casamance qui venaient à peine de sortir de l’indigénat. Ainsi, s’ouvre la route vers l’autonomie des populations africaines pour une meilleure gouvernance des systèmes éducatifs sous domination coloniale.

  1. Vers l’autonomie des populations dans la prise en charge des questions éducatives

De cette mission d’Amadou-Mahtar Mbow de 1953 s’amorce un mouvement vers une autonomie des populations dans la prise en charge des questions éducatives.

Dans un système colonial réfractaire à tout droit à l’initiative des populations africaines, où l’école française depuis l’école des Mutuelles de Saint-Louis du Sénégal de 1816 a été toujours imposée à la hussarde, il est important de souligner cette rupture tranquille qui se produit avec Amadou-Mahtar Mbow à partir de 1953.

Il dira dans un témoignage  sur sa première mission à Darou Mousty «  J’ai connu Cheikh Modou Awa Balla Mbacké, (le chef spirituel de Darou Mousty), en 1953. J’ai vécu avec lui plus de trois mois. Tous les programmes l’étaient en parfait accord avec lui qu’il s’agisse du domaine du travail, de la santé, de l’élevage, du reboisement et des infrastructures de Darou Mousty. C’est grâce à son accord que j’ai fait créer la première école française de cette cité. »[8] Il n’y a plus de dilemme entre César et Dieu dans ce pays qui laisse fleurir la liberté de choisir la forme d’éducation qui corresponde le plus aux aspirations des populations.

Nous sommes de plain-pied dans le socialisme africain théorisé depuis 1945 par Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia.

Mais l’éducateur, le pédagogue, Amadou-Mahtar Mbow, se préparait-il en même temps à intégrer le gouvernement de Mamadou Dia dans la période de l’autonomie française de 1957 ?

Etait-il porteur, à l’instar du Président Mamadou Dia, de la flamme de la démocratie « participative » ?

On ne peut répondre que par l’affirmative en passant en revue le parcours de l’enseignant, du pédagogue et de l’homme politique dans l’éducation qui, est, par excellence, une fabrique de l’esprit.

Toutes les formes d’éducation non formelle de notre siècle convergent vers un invariant  qui nous rapproche du modèle d’école mis en place par Amadou-Mahtar Mbow : l’autonomie des populations dans l’initiative de créer une école. Du Bangladesh, par les pratiques innovantes du BRAC (Bangladesh Reduced Advanced Committee) à l’Ecole Communautaire de Base du Sénégal, en passant par le Ciudad Don Bosco de la Colombie, l’école doit sa stabilité et sa pérennité à la part active que prend la population bénéficiaire dans la mise en place de ses outils de gestion.

Amadou-Mahtar Mbow a été donc pionnier de ce qui va préfigurer la cité éducative préconisée par la Commission internationale pour le développement de l’Education présidée par Edgar Faure en 1972. C’est le Rapport Apprendre à être de cette commission qui, tout en recommandant la participation d’en bas, met en évidence bien des réformes se révélant inefficaces ou entraînant un grand gaspillage d’énergies et de talents du fait d’un manque de coordination ou de la discordance entre les instructions venues d’ « en haut » et des initiatives venues d’ « en bas ».

Amadou-Mahtar Mbow l’avait compris. Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans en avoir l’air, il a fait passer ces écoles rurales d’une logique de programme sous-tendue par une vision monolithique de l’école, à une logique de projet mue par un besoin d’ancrage local du système éducatif aux réalités africaines. Mieux, Amadou-Mahtar Mbow n’est pas à contre-courant de l’approche pédagogique par les compétences qu’il a pratiquée avant le concept.

Ainsi, en luttant pour un meilleur accès à l’école sur la terre de ses ancêtres, il participa à la pose de la première d’une scolarisation universelle stipulée par la recommandation de l’UNESCO de 1948.

II/ Amadou-Mahtar Mbow et la pose de la première pierre d’une scolarisation universelle

Le rôle prépondérant d’Amadou-Mahtar Mbow dans la pose de la première pierre d’une scolarisation universelle est à rechercher d’abord dans le Rapport Apprendre à être de 1972 qui lui fraye le passage de la Direction Générale de l’UNESCO (1). Mais il est ensuite dans la finalité de ce rapport de permettre à l’individu d’être cette créature qui, par l’instruction, reste un être debout dans la vision d’Amadou-Mahtar Mbow. (2)

  1. « Apprendre à être » avec Amadou-Mahtar Mbow

Apprendre à être avec Amadou-Mahtar revient, avant tout, à questionner l’éducation de l’éducation de base en passant en revue toutes les formes alternatives d’éducation produites par l’éducation non formelle.

Apprendre à être avec Amadou-Mahtar Mbow à l’orée de la crise économique de 1973 et de la grande sécheresse qui décima le milieu rural sahélien, c’était aussi rechercher des solutions efficaces dans ce qui préfigure de nos jours l’éducation inclusive au bénéfice des populations vulnérables et marginalisées.

Le temps des interrogations n’est pas révolu. Dans la longue lutte pour une égalité d’accès à l’école, Amadou-Mahtar Mbow participa à combattre les inégalités régionales. Les potentiels extrascolaires sur lesquels il s’appuya pour les missions de l’éducation de base forment de nos jours le matériau de la sociologie de la demande scolaire.

« On n’entreprend pas de s’instruire, d’acquérir un diplôme en vue du lendemain seulement, mais en prévision d’une vie entière – et d’une vie dont l’apogée se situera aux environs de l’an 2000… »[9] , note le Rapport Apprendre à être.

Le jardin d’acclimatation de l’éducation de base d’Amadou-Mahtar Mbow au Sénégal préparait déjà l’Homme de l’an 2000 à se construire par l’éducation tout au long de la vie.

Toute la dynamique de l’éducation non formelle et de l’éducation informelle se retrouve dans l’approche holistique de l’éducation qui s’impose aujourd’hui comme une sorte d’impératif universel d’une Education Pour Tous.

La « déformalisation » des institutions que le Rapport Apprendre à être appelle de ses vœux indique que « l’éducation doit pouvoir être dispensée et acquise par une multitude de moyens, l’important n’étant pas de savoir quel chemin le sujet a suivi, mais ce qu’il a appris et acquis ». C’est cette vision pragmatique de l’éducation qu’il convient de reconnaître à Amadou-Mahtar Mbow dans son parcours de pédagogue et d’enseignant au Sénégal et dans le monde. Cette « déformalisation », prenant le contrepied d’une institutionnalisation pyramidale de l’école, s’installe confortablement dans le village planétaire prédit par Marshall Mc Luhan. L’âge du changement pour cet homo faber de l’éducation qu’est Amadou-Mahtar Mbow c’est de rétablir cet équilibre des forces entre les pays du Nord et du Sud par un Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication.  Partir des jalons posés par le Rapport Apprendre à être serait pour lui aller plus loin dans la démocratisation l’apprentissage et la formation par les mass media (radio, télévision) et la cybernétique.

L’Université Mahatma Gandhi, dont les enseignements sur la formation des enseignants via Internet profitent de nos jours à certains pays africains, est le fruit de tant de combats livrés par Amadou-Mahtar Mbow pour une cité éducative plus juste. Les prouesses de l’Institut International de l’UNESCO de Renforcement des Capacités en Afrique dans l’appui de ses Etats membres et de la Section de l’UNESCO pour la Formation des Enseignants dans la démocratisation des Technologies de l’Information et de la Communication doivent se lire en prenant le chemin de la mémoire ; celui de la pose de la première où figurent en bonne place l’empreinte d’Amadou-Mahtar Mbow et ses outils innovants de gestion des systèmes éducatifs. Par l’éducation, il a appris à être et il est. Ce n’est pas un syllogisme.

C’est par un processus de maturation, sous l’effet conjugué de l’Homme et de ses outils à fabriquer des outils, que celui qui apprend à être finit par être. Nous avons le privilège d’être toujours avec Amadou-Mahtar Mbow dans la dynamique de l’Education pour Tous.

 

  1. Etre avec Amadou-Mahtar Mbow dans la dynamique de l’Education Pour Tous

Être avec Amadou-Mahtar Mbow dans la dynamique de l’Education pour Tous, serait d’accepter avec lui que l’école de l’avenir est celle qui embrasse toutes les réalités sociales, politiques, économiques et culturelles d’un territoire donné.

« Etre »  avec Amadou-Mahtar Mbow nous indique aussi de chercher dans sa langue « maternelle » le wolof, le sens du mot « Etre » : Le wolof dit « tekki na » (Il est) en wolof pour marquer sa reconnaissance à un Homme debout qui se réalise par l’éducation, la formation et le travail. Nous sommes toujours en toute beauté et en toute jeunesse avec le nonagénaire dans la fabrique de l’esprit conformément aux valeurs de l’UNESCO.

Au moment où la communauté internationale rappelle, à juste titre, la nécessité d’une éducation au développement durable dont la décennie s’achève en 2014, nous ne pouvons pas manquer de faire une rétrospective sur le rôle d’Amadou-Mahtar Mbow dans les cours pratiques de reboisement qu’il a mis en place dans la première école française ouverte à Darou-Mousty au Sénégal en 1953.

L’histoire lui donne raison comme elle a donné raison à Cheikh Anta Diop, l’auteur de « Alerte sous les Tropiques »[10] qui préconisait dans la même période le reboisement au Sénégal. Les Ecoles Communautaires de Base au Sénégal, les Centres d’Education au Développement au Mali et l’éducation de base au Burkina Faso trouvent un regain d’intérêt dans la prise en charge des problèmes éducatifs privilégiant le bilinguisme français-langues africaines.

Ainsi, la relecture du modèle d’éducation de base d’Amadou-Mahtar Mbow nous invite également à intégrer le développement des compétences professionnelles dans l’enseignement post-primaire dans les pays d’Afrique francophone. Le collège d’enseignement général est apparu comme une école en vase clos dans la cité. Nombreux sont des élèves africains, qui, après dix ans de scolarité (école primaire et premier cycle secondaire) sortent du circuit avec ou sans diplôme sans être capables d’entrer sur le marché de l’emploi. Cette approche intégrative des pratiques pédagogiques professionnelles, reflétant les métiers de l’environnement de l’enfant, est aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour une meilleure garantie du taux de rendement externe de l’école.

En définitive, comment ne pas penser à Amadou-Mahtar Mbow pour son expertise confirmée dans des moments d’angoisses existentielles de son pays le Sénégal dont il présida avec brio les Assisses Nationales ? C’est au  pays de ses ancêtres, le Sénégal, où les sages nous enseignent que « C’est pour le confort des éléphanteaux que l’éléphant élague les buissons » « Bu ñey di xàll babal doom yaa tax ». Il s’est imprégné de cette règle pour s’engager de façon désintéressée à une garantie de la qualité et de l’équité dans l’éducation des jeunes d’Afrique et du monde.

 

Conclusion

En souvenir des bâtisseurs et des génies de la Résistance des Matériaux, les pyramides sont les réceptacles visibles des civilisations millénaires. Mais il  est aussi des bâtisseurs de pyramides aussi solides et résistantes aux intempéries ; ce sont ceux dont les œuvres échappent parfois aux archéologues les plus vigilants parce que, liées discrètement à perpétuelle demeure, à l’esprit des humains.  On reconnaîtra l’œuvre d’Amadou-Mahtar Mbow pour la paix et le rapprochement des peuples, par l’éducation, inscrite dans ce panthéon. Le soldat infatigable ne baisse pas la garde sur les fronts contre l’injustice. C’est une vigie de la République dont la vision de l’éducation garde toute son actualité au secours des démunis du minimum vital.

Recherchez chez un Homme toutes les qualités qui forgent la carrure d’un grand humaniste, vous reconnaîtrez le visage humain d’Amadou-Mahtar Mbow dans toute sa splendeur.

Si l’éducation cache un trésor[11], comme le reconnaît Jacques Delors, nous pouvons considérer que le trésor précieux mis à notre disposition par Amadou-Mahtar Mbow est inépuisable. Notre appétit insatiable pour le savoir, la justice, la paix et la dignité de l’Homme montrent  que l’ascendant à l’honneur n’a pas légué de fardeaux à ses descendants que nous sommes.

Merci Doyen Amadou-Mahtar Mbow d’être là. Nous avons toujours besoin de vous pour plus lumière sur ce chemin qui se perd dans la pénombre. Dans la sagesse du pays de vos ancêtres, le Sénégal, permettez-moi de vous dire Doyen Mbow en wolof :

« Sa bakkan bi ñépp a ko soxla »[12] » (Votre vie nous est très utile)

 

*Daouda Ndiaye

Juriste, Docteur en Sciences de l’Education

Expert en Politiques publiques

[1] Kâne, C-H., (1961), L’Aventure ambigüe, Editions Julliard, Paris

[2] Bergson, H., (1907),  L’évolution créatrice, (1907), Ed. PUF, coll. « Quadrige », 2007 (édition critique, Chap II, pp. 138-140.)

[3] Ndiaye, C.M.A.B., (2010), Cheikh Modou Awa Balla Mbacké : le soldat de l’Islam et du mouridisme, Editions Le Nègre international, Dakar, 169p.

[4] Conférence africaine française de Brazzaville, 30 janvier 1944-8 février 1944, Ministère des Colonies, Paris 1945, p. 44.

[5] Seck, P-I., (1993), La stratégie culturelle de la France en Afrique, Editions L’Harmattan.

[6] Diatta, C-S, (1999), Parlons Jola, Langue et culture des Diolas, Edition L’Harmattan, Paris.

[7] Coombs, P-H., (1985), Etude sur la crise mondiale de l’éducation, UNESCO, Paris.

[8] Témoignage d’Amadou-Mahtar Mbow recueilli, Journal Le Soleil du 10 mai 2010, Sénégal.

[9]UNESCO., (1972), Rapport Apprendre à être, UNESCO-Fayard, Paris. p. 36.

[10] Diop, C-A., (2006), Alerte sous les tropiques, articles 1946-1960, Culture et Développement en Afrique Noire, Présence Africaine, Paris.

[11] Rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle présidée par Jacques Delors., L’éducation : un trésor est caché dedans, Editions Odile Jacob, Paris.

[12] « Votre vie nous est  très utile»

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