Contribution Bâle, la vie en rose

Les journées internationales de l’industrie pharmaceutique de Paris se tiennent d’ordinaire au mois de septembre précédant de peu, leur pendant médical, les entretiens de Bichat qui se déroulent en octobre. Mai 68, source de bouleversement dans le calendrier tant politique qu’universitaire, fut à l’origine de la tenue des J.I.I.P.P au mois de mars 1969. Les années précédentes, les congressistes étaient accueillis par les derniers rayons du soleil sur la capitale française embellissant et réchauffant toitures et façades ravalées au début des années 60 par la « dépigeonnisation » Tisot-de Gaulle. Malheureusement pour les invités africains, l’hiver pliait bagages sans pour autant libérer les lieux .En dépit du redoux qui s’installait, l’atmosphère de ces mémorables assisses ne pouvait rappeler celles des années précédentes- Habituellement à la fin des travaux, les industriels prennent en charge les congressistes, par petits groupes, pour une visite guidée de leurs installations et réalisations respectives en France ou ailleurs en Europe. Cette année- là reste gravée dans ma mémoire à cause d’un événement fortuit qui m’a beaucoup marqué et qu’il me plait aujourd’hui de partager.

Le groupe d’une trentaine d’invités à Bâle, ne comptait que deux Noirs, un ami ivoirien et votre humble serviteur.

Comme le disait d’Alger, G de Maupassant en débarquant au port de la capitale de la colonie de peuplement, Bâle a dépassé mes attentes. Bâle et ses cloches immortalisées par le célèbre compagnon d’Elsa Triollet, est une ville provinciale , à la fois paisible et grouillante de congrès et de séminaires , commandant le passage sur le Rhin, avec ses quatre tours semblables à des sentinelles qui scellent davantage la suprématie de ce lieu dans le domaine de la chimie en général, des colorants, des pesticides et du médicament en particulier. Bâle est aussi réputée pour ses restaurants, richement décorés de trophées et ses hôtels de luxe.

Après les visites des installations et réalisations de la firme bâloise,  après les exposés des chercheurs sur certaines recherches en voie d’application, le volet ludique sera consacré à la visite du parc zoologique de Bâle.

Installés dans un car Pullman avec sous les sièges une douce chaleur, nous roulons le long du Rhin, en direction du zoo, les hauts parleurs diffusant en sourdine des valses de Strauss. Les yeux mi-clos, la machine à remonter le temps me ramène dix ans en arrière, embarqué dans un bateau hongrois voguant sur le Danube et saluant Vienne la belle avec les mêmes inoubliables œuvres. Elles y sont toutes du moins les plus connues. Les fastes et dorures de l’empire austro-hongrois, l’opéra de Vienne, la multitude de stravarius lovés entre joue et épaule parcourus par des archets fébriles tressautant sur les cordes tandis que des doigts agiles composent une combinaison ternaire au rythme tant tentant et envoutant ; Le château de Schönbrunn, avec son beau jardin, style Le Notre, prison de l’Aiglon, « lorsque l’aigle baissa la tête ». Je pensais à tout cela quand je fus tiré de ma rêverie par le freinage du conducteur devant la grille du parc.   Nous sommes aimablement accueillis par le vétérinaire, directeur du parc, entouré de ses proches collaborateurs-Il ne sera pas question de vous entretenir des différents éléments de cette visite édifiante et particulièrement riche ; toutefois, le vétérinaire, chef de ce canton spécial, a ébauché devant nous une  expérimentation qu’il poursuivait avec d’autres chercheurs de disciplines variées.

Depuis quarante-sept ans, cette expérience qui n’en était qu’à ses débuts, n’a cessé de me tourmenter-Seul le conseiller culturel de l’ambassade suisse, en mettant à la disposition des chercheurs sénégalais, le rapport et les conclusions de l’étude concernée, nous permettra d’avoir une vue claire de la situation. J’ose espérer que nos chercheurs pourraient enrichir ce qui a été réalisé en s’attelant à une étude similaire.

A l’entrée du parc, dans un plan d’eau, des otaries disputent un match de ballon rond ; seuls spectateurs des flamants. Peut-être ne sommes-nous pas de fins observateurs car c’est le vétérinaire qui nous fera remarquer que d’un côté, il n’y a que des roses et de l’autre des blancs.

L’histoire d’une renaissance

L’équipe de chercheurs disposant d’un groupe de volatiles blancs le répartit en deux lots distincts soumis au même régime alimentaire à cette différence près que le second reçoit un apport de facteur caroténoïde ; cet apport en pigment donnera une belle couleur rose aux bénéficiaires de ce régime .Telle est l’origine du mal. En effet, de ce jour date la discrimination imposée aux blancs . Les flamants roses éliront leur aire de jeu et de stationnement interdite aux blancs, confinés de l’autre côté du bassin d’eau.

Toute relation entre les deux communautés fut rompue par les roses ; le mariage mixte fut prohibé.

Telle était la situation qui prévalait en mars 1969 : d’un côté les bons aryens roses et de l’autre les bons à rien blancs. Gais étaient les roses, moroses les blancs.

Le piège des naissances

Au printemps, à la saison des amours, la désolation et la consternation marqueront le camp rose. Ce pigment caroténoïde est un facteur récessif, le blanc étant l’élément dominant. Le carnet rose n’enregistre que des naissances blanches à la surprise des « pères floués » qui ne comprennent rien aux lois de l’hérédité .Les suspicions iront bon train, la présomption de liaisons coupables sera requalifiée en flagrant délit devant le beau plumage blanc des oisillons, eux, indifférents à leur sort ; leurs mères subiront outrages et châtiments pour un forfait non fondé.

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, persiflages et quolibets fuseront du camp blanc en direction de ceux qui les avaient bannis. Quelque Tartarin heureux de démoraliser davantage l’ennemi, s’accusera de s’être introduit par une nuit sans lune dans la zone interdite, honorant toutes ces dames, les unes après les autres, pour sauver sa race du déshonneur dans lequel elle était plongée.

Retour de manivelle

Le programme des chercheurs se poursuivra par la réduction drastique du facteur  caroténoïde, puis par sa suppression. Le rose va s’effilocher, puis cédera totalement la place au blanc. Le jour viendra où ils redeviendront semblables les uns les autres. L’identité sera retrouvée.

Malheureusement les faucons du camp ex –rose s’espérant installés dans un purgatoire et s’attendant au retour dans un bref délai de leur coloration perdue, refuseront probablement toute forme de négociation et encore moins de collaboration avec les « intouchables blancs ».

Le temps passe ; le vain espoir qui plane au-dessus du camp ex-rose, s’évanouira, se déchiquètera comme une charpie que balaie le vent du Nord en dépit de la majestueuse haie de peupliers ceinturant le parc.

L’aberration la plus monstrueuse de l’histoire est reproduite par des oiseaux. En effet, soumis à la pression des polders envahissants, livrés de ce fait à la fièvre obsidionale, s’extirpant de cette situation calamiteuse, de misérables aventuriers, échoués sur la cote africaine au hasard des moussons, plantes adventices sur cette terre hospitalière, arguant d’hypothétiques et chétives racines adventives sur ce berceau de l’Humanité, imposent aux autochtones un régime ignoble : l’apartheid. D’autres, du même acabit, enivrés des brumes de la blanche Albion, leur emboitent le pas. Bref, l’illégalité et l’amoralité cautionnées par la communauté internationale qui n’a jamais soutenu le faible dans ses droits.

Seul le prolétariat agit dans ce sens. Me trouvant en Scandinavie en juillet 1963,  j’ai assisté au refus catégorique des dockers suédois et danois de décharger des bateaux en provenance d’Afrique du Sud.

Ironie du sort, c’est en Helvétie, modèle de démocratie, de neutralité et de respect du droit humanitaire, que se manifeste une convergence de vue  avec le système de l’apartheid : Bale abrite une aile du régime de Pretoria grâce à des volatiles zélés.

On sait les exactions commises par les racistes sud-africains, on est édifié sur les vingt-sept ans de Mandela et ses compagnons dans les geôles de Road Island ; des écrivains Blancs comme Breyten Breytenbach ont courageusement dénoncé de tels actes. Qu’a-t-on réussi avec les volatiles de Bale ? Les psychologues et psychanalystes de l’équipe de chercheurs ont-ils ramené la sérénité, la paix et la fraternité au sein de la communauté de flamants toutes tendances confondues ? Autant de questions qu’il faudrait élucider tout en indiquant le protocole opératoire qui a permis l’obtention de résultats probants.  Les descendants de la génération de 1969, s’ils ont une courte mémoire, ont dû déjà sceller leur amitié évitant à Bale d’avoir « mal à l’Ulster ».

Ainsi, il s’agit d’une phobie croisée : Les Blancs usurpateurs rejettent  le Noir, tandis que les flamants abhorrent le blanc.

Des gouts et des couleurs ou le dégout de couleur

Les gouts et les couleurs sont considérés comme une banalité, une convenance dont le choix mérite le respect. Dès lors que dire du dégout de couleur au point d’inventer un seuil de tolérance- ou d’intolérance-compatible avec l’harmonie de la cité , comme s’il s’impose un dosage méticuleux d’alchimiste pour la représentation des couleurs respectives sous peine de mener au bouleversement des valeurs ! Une nouveauté, un dogme, applicable seulement  aux « hommes de couleur ». Le Blanc, qui use de cette appellation s’agissant des autres races, serait –il incolore ? Quand un rimailleur, en mal d’inspiration ou trahi par sa muse allie couleur et odeurs, les bornes sont dépassées !

La Palette du Tout Puissant a brisé la monotonie, sans toutefois établir une échelle de valeurs. Ceux qui pensent le contraire iront toujours de surprise en surprise. La valeur est indépendante de la couleur.

Je n’avais nulle intention de m’exprimer sur les flamants roses  bien que le sujet me préoccupe. Aujourd’hui devant l’avancée de l’immoralité dans notre humanité alitée, j’espère que la moralité a sa place ici et ailleurs.

En Afrique du Sud le problème est réglé. Dans sa tombe Mandela peut répéter à la suite du célèbre castelthéodoricien : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». En outre, « ce héros au sourire si doux », cet homme au grand cœur pourrait citer le plus grand poète et écrivain français :

Le cœur humain de qui ? Le cœur humain de quoi ?

Mais moi aussi j’ai mon cœur humain à moi !

Insensé qui ne sais pas que je suis toi !

Prenant exemple sur cette position de sagesse, les flamants ex-roses en mettant un terme à la reproduction de l’aberration la plus monstrueuse de l’histoire de l’humanité éviteront à Bâle d’être l’Ulster de la Suisse   Samba Sala Hawo Ly

P.S.  A ma chère nièce Collé, bras armé contre le Xeesal

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