Algérie : quand les autorités s’acharnent sur les médias au lieu de lutter contre la pandémie

Plutôt que de s’attaquer à la propagation du Covid-19 qui fait de l’Algérie l’un des pays les plus touchés d’Afrique du Nord par le virus, les autorités profitent de la situation pour réprimer des journalistes et des médias indépendants. Reporters sans frontières dénonce une instrumentalisation de la crise sanitaire qui vise à museler la liberté de la presse

Poursuites judiciaires, emprisonnements de journalistes, lois liberticides, médias en ligne censurés et cyber-harcèlement … Les autorités algériennes se servent de l’épidémie de Covid-19 pour accentuer leur pression sur les derniers journalistes et médias indépendants du pays.

L’Algérie est le pays d’Afrique du Nord le plus touché par le nouveau coronavirus. Plus de 550 décès y ont été recensés depuis l’enregistrement du premier cas le 25 février 2020. Au total près de 7200 cas de la maladie Covid-19 ont été officiellement déclarés sur le sol algérien.

Les journalistes qui ont couvert les manifestations du Hirak sont les plus exposés aux pressions des autorités soucieuses de réprimer les voix dissonantes.

C’est le cas de Khaled Drareni, directeur du site d’information Casbah Tribune et correspondant de TV5 Monde et de RSF en Algérie, dont la demande de libération provisoire a été rejetée une première fois le 6 mai 2020. Le journaliste est désormais dans l’attente de la décision de la chambre d’accusation de la cour d’Alger qui sera rendue à partir du 27 mai prochain. A

rrêté le 7 mars 2020 alors qu’il couvrait les manifestations pacifiques qui avaient lieu à Alger dans le cadre de la mobilisation populaire du Hirak,   Khaled Drareni – incarcéré depuis le 29 mars – risque jusqu’à dix ans de prison.

Khaled Drareni, n’est pas le seul journaliste algérien emprisonné et harcelé en Algérie. Un autre de ses confrère, Sofiane Merakchi, journaliste et correspondant de la chaîne de télévision libanaise Al Mayadeen, qui collabore également avec d’autres médias étrangers en tant que producteur, dont France 24 et RT, est incarcéré depuis septembre 2019.

Il  a été condamné le 5 avril 2020 à huit mois de prison ferme pour “introduction d’équipements sans licence et évasion douanière”.  Il est le premier journaliste à avoir été placé derrière les barreaux depuis le début du Hirak.

Hormis les pressions judiciaires, les autorités organisent savamment le travail de sape contre les médias en procédant à la censure des médias en ligne.

Ces dernières semaines, plusieurs d’entre eux ont été bloqués et ne sont plus accessibles en Algérie. Après Maghreb Emergent et Radio M censurés dès le 10 avril, les sites Interlignes et DZVid ont été censurés à leur tour. La direction du Matin d’Algérie a dénoncé quant à elle des « pratiques… comme au bon vieux temps » de la part des autorités qui rappellent celles en vigueur sous le régime Bouteflika. Un autre site en ligne, TSA (Tout sur l’Algérie) a été bloqué à plusieurs reprises en 2017 et 2019 dans les mêmes conditions. De son côté, le journal satirique El Manchar a préféré dans la crainte de représailles des autorités, cesser ses activités, le climat de répression des libertés et les incarcérations de citoyens faisant peser trop de menaces sur l’équipe du journal.

Outre ces attaques, le phénomène du cyberharcèlement s’accentue depuis la prise de fonction du Président Tebboune en janvier dernier. De plus en plus de  journalistes dont les propos dérangent sont victimes de campagnes de haine d’une rare violence sur les réseaux sociaux.

Toute voix critique du régime est étouffée ou mise sous pression de diverses façons comme la détention sans charges concrètes comme c’est le cas pour Khaled Drareni. “Quiconque se permet de juger ou de critiquer, même de façon truculente, l’action du pouvoir en place depuis la mi-décembre 2019…. est accusé de faire le jeu de la « main étrangère » et de servir les intérêts de ceux qui complotent contre la stabilité de l’Algérie,” affirme un journaliste qui a préféré témoigner anonymement de peur des représailles des autorités.

“Cette intensification des attaques contre les journalistes et les médias est extrêmement dangereuse, déclare Souhaieb Khayati directeur du bureau Afrique du Nord de RSF. Les autorités algériennes se trompent d’ennemi car en cette période de pandémie le travail d’information accompli par les acteurs des médias est vital. Or, en s’acharnant sur Khaled Drareni le pouvoir algérien témoigne de son mépris pour les libertés et ce qu’il reste de médias libres en Algérie. C’est la raison pour laquelle RSF appelle à la libération immédiate d’un journaliste dont le seul tort a été de faire son métier”.

 Un texte liberticide et flou

La crise sanitaire est une aubaine pour le gouvernement algérien qui profite de l’affaiblissement de la mobilisation pour verrouiller de façon drastique l’information. Le 22 avril, un projet de loi criminalisant la diffusion de soit disant “fausses informations” qui portent « atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat » a été voté par les députés. Cet amendement du code pénal prévoit des peines allant de une à trois années de prison et du double en cas de récidive.

La peine peut même aller jusqu’à cinq ans de prison si les faits ont lieu durant des “périodes de confinement sanitaire ou d’une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre catastrophe”. RSF s’était élevée contre l’hypocrisie de cet amendement du code pénal algérien qui vise à censurer les médias en ligne et les internautes.

En effet, la constitution algérienne prévoit qu’aucune peine privative de liberté ne saurait être infligée pour un délit de presse et le Président lui-même a appelé lors de son premier conseil des ministres en janvier 2020 à consolider la liberté de la presse.

Le pays occupe aujourd’hui le 146e rang au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.

Saphiétou Mbengue
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